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Industrie de l’habillement
Le « made in Cameroon » s'effiloche
Les créations des couturiers camerounais sont souvent délaissées au profit des marques occidentales qui les jugent bas de gamme.
Le constat est implacable. La garde-robe de beaucoup de Camerounais est constituée en grande partie des vêtements et accessoires étrangers. Cette préférence pour les marques occidentales n’est pas sans conséquence pour la mode vestimentaire locale. En fait les créations des stylistes, face à l’omniprésence des tenues occidentales sur les marchés, sont souvent délaissées. Les populations jugent leurs coûts pas à la portée du citoyen lambda. Patrick Soh est le responsable artistique et production de la marque Soh Cameroun. Les prix des habits qu’il confectionne varient généralement entre 10 000 FCFA et 20 000 FCFA. A l’en croire, les camerounais préfèrent les marques d'ailleurs parce que les grands couturiers ne communiquent pas assez pourtant leurs œuvres sont de très bonnes qualité. « Les vêtements camerounais peinent à percer parce qu'il y a aucun styliste camerounais qui a lancé une marque sur le marché local et international. Mais d'ici quelques années, les choses vont changer », croit savoir Patrick Soh, styliste modéliste.
Ce n'est pas le seul cas. A plus de deux décennies d’existence, le centre de formation Jemann Institute of fashion revendique environ 120 collections de vêtements. Mais toutes ces créations n’ont pas toujours eu le succès escompté malgré leur exposition dans des showroom. En cause, le manque de salle pour présenter leurs modèles, la désaffection des Camerounais pour la mode africaine, le manque de prêts- à-porter pouvant exposer dans leurs vitrines les différentes collections, l’incapacité de certains stylistes modélistes à satisfaire la demande locale contrairement aux créateurs occidentaux qui produisent en masse et à des prix bas. Ils ont par ailleurs des réseaux de distribution importants où ils peuvent écouler les marchandises produites aisément. « Les conditions à remplir pour déposer nos créations dans les prêts-à- porter sont drastiques; les propriétaires préfèrent vendre d’abord nos articles puis nous rétrocéder un pourcentage », explique un styliste Parfait Behen, promoteur de l’Académie internationale des arts de la mode(AIAM), un centre de formation situé à Ndokoti. A son actif plus d’une dizaine de collections produites dont plusieurs restent méconnues du grand public.
En plus des difficultés sus évoquées, les designers Camerounais ont dû mal à pouvoir réaliser un business plan solide, manquent de données financières et du coup, souvent obligés de démarrer sur fonds propres. Dans le même sens, les créateurs d’entreprises n’arrivent pas à protéger leurs œuvres d'art compte tenu du coût financier qui s’élèverait à près de 300 000 FCFA par an selon le DG de l’AIAM. Et 400 000 FCFA par modèle d’après un haut responsable de Jemann Institute of fashion. A ces tares se greffent d'autres problèmes comme, la conception et la réalisation d’une collection de vêtements qui nécessite beaucoup d’argent. Ce qui n’est pas la portée de tous les modélistes, selon les observateurs du secteur. Alors que certains couturiers sont contraints de s’endetter à près des usuriers pour parvenir à leur fin, d’autres, à l’image de Kevin Jemann, Directeur de l’institution éponyme, débourse plusieurs millions de FCFA à chaque fois qu’il faut mettre sur le marché une collection.
Comment donc faire pour réussir dans le milieu de la haute couture à l'instar d'André Jemann, créateur de mode décédé jeudi le 11 novembre 2010 ? Selon certains membres de cette corporation, le gouvernement devrait tout simplement faciliter l’octroi des financements.
Christian Happi
Défis
La mode camerounais victime des idées préconçues
Les couturiers Camerounais doivent batailler pour se faire un nom au milieu de la jeunesse qui n'a d'yeux que pour les marques étrangères.
S’il est vrai que les Camerounais s’habillent plutôt avec des vêtements importés d’Europe ou d’Asie, il n’en demeure pas moins que cette préférence pour les marques occidentales est due à de nombreux préjugés. Rencontrés dans les rues de Douala, la plupart des jeunes discréditent les marques locales et avouent leur amour pour le « made in USA » ou « made in France ». « Tout ce qui fashion est Américain ; comment vouloir qu’un jeune s’habille avec des vêtements en pagne », s’interroge Diani Kapseu, enseignante. Celle-ci n’est pas la seule à voir d’un mauvais œil la haute couture camerounaise. C’est aussi le cas de Rodrigue T. étudiante dans une université privée de la capitale économique. Lui et ses autres camarades n’ont d’yeux que pour la mode occidentale, jugeant que les créations camerounaises sont de mauvaises qualités. « Ne me parlez pas de la mode camerounaise. Qui la connaît ? Que font nos stylistes pour la vulgariser ? Même si c’était le cas qui peut laisser ce qui est bien fait pour utiliser la contrefaçon », critique Rodrigue. Son ami ajoute que les couturiers connaissent les habitudes de consommation camerounaise en matière de vêtements. Mais n’ont pas le soutien nécessaire pour relever le défi.
En plus du manque d’intérêt des Camerounais pour la haute couture « made in Cameroon », les meilleures écoles du pays doivent être renforcées par le gouvernement pour attirer davantage de jeunes. Il en existe plusieurs : l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique(Enset) de l’université de Douala. Mais encore, à l’Institut supérieur du Sahel(ISS) ou à l’Institut des beaux-arts de Foumban (IBAF) créée dans le cadre de la réforme universitaire. Auxquelles s’ajoutent les institutions privées notamment le Centre des créateurs de mode au Cameroun (CCMC), l’Institut supérieur des beaux arts Cheick Anta Diop (ISBAC), Jemann institute of fashion…
Par ailleurs, il est urgent pour les couturiers de mettre sur des campagnes de communication pour se faire leurs produits. Certains, à l’image de Soh Cameroun n’hésitent pas à miser sur les NTIC pour promouvoir sa marque : plan marketing bien ficelé, utilisation des réseaux sociaux, participation aux rencontres et foires professionnelles ou promotionnelle et les médias. L’idée étant d’effacer dans la pensée des camerounais le fait de croire que les produits locaux ne sont bas de gamme.
C.H.
Les jeunes et le culte des marques étrangères
Hermès, Chanel, Louis Vuitton, Christian Dior, Calvin Klein, Versace… les plus grandes marques de vêtements sont celles qu'on retrouve le plus dans les prêts-à-porter de Douala. Vulgairement appelée « griffe », ces vêtements sont très sollicités par les adolescents qui investissent beaucoup d’argent pour s'en procurer. Ils recherchent en effet, la reconnaissance, ressembler à leurs artistes préférés,etc. « En portant un vêtement de marque étrangère, on affiche ses goûts et par la même occasion son confort financier », explique Christian Y. qui voue une passion pour la marque Christian Dior. Ce dernier n’est pas une exception. Son camarade de classe et ami économise son argent de poche pour s’acheter des habits de luxe question d’être « branché ». « Être branché est l’une des principales obsessions. J’évite d’être ringards parmi mes potes », confie Wilfried T.
A la vérité, les jeunes entretiennent un rapport mystérieux avec les marques et la mode pour paraître « fashion » au milieu des amis. Un désir qui, selon les tenanciers des prêts-à-porter leur permet de réaliser de bonnes affaires. « Le culte que les ados ont pour les marques me permet de réaliser de bonnes affaires ; je peux acheter un vêtement de marque dans la friperie à 500 FCFA et le rendre au quintuple », avoue Charly, commerçant. Pareil pour Alexis qui a même dû arrêter prématurément les études pour se consacrer à son shopping.