Lutte contre le terrorisme
Douala, une ville sur ses gardes
Suite à l’explosion d’une bombe de fabrication artisanale sur le mur de la SCDP, plusieurs mesures ont été prises par les autorités administratives et politiques  pour sécuriser les populations et leurs biens.  A ces dispositifs s’ajoutent d’autres initiatives en gestation ou déjà instaurés dans le cadre de la lutte contre la nébuleuse Boko Haram. Nous revenons sur quelques-unes de ces mesures qui ne mettent pas toujours les Doualais à l’abri des braquages.
Déjà renforcé dans le cadre de la lutte contre la secte islamique Boko Haram, le dispositif de sécurité de la ville Douala est monté d’un cran depuis l’explosion d’une bombe de fabrication artisanale le 22 septembre dernier sur le mur qui sépare les rails de la Camrail à l’entrepôt de la Société camerounaise de dépôt pétrolier(SCDP). Plusieurs mesures ont été prises par les pouvoirs publics à commencer par la décision interdisant toute activité commerciale aux alentours de la SCDP. A cette mesure, s’ajoute d’autres décisions notamment celle concernant la multiplication des raids, multiplication des patrouilles et sécurisation des lieux à forte fréquentation, des fouilles systématiques là où le besoin se fait sentir… « La sensibilisation continue de nos populations à signaler tout fait, c’est déjà une des mesures. Maintenant, ceux qui sont qualifiés comme  officier de police judiciaire, comme forces de maintien de l’ordre vont faire également leur travail mais c’est toujours de manière concertée », avait indiqué Dieudonné Ivaha Diboua, le gouverneur de la région du Littoral  au sortir d’une  réunion de crise organisée le mercredi 27 septembre 2017 dans ses services à Douala.
 Au-delà de ces déploiements, il faut dire que Douala n'a pas attendu la pose d'une bombe artisanale pour prendre les mesures de sécurité pour mettre ses populations à l’abri d’un attentat. Il est par exemple commun de voir des pilonnes de couleurs blanches dans certains carrefour de la ville, leur rôle est de collecter les informations à un, voire deux kilomètres à la ronde. Selon une source, le gouverneur a par ailleurs prescrit d'autres mesures plus discrètes qui visent à passer au peigne fin toute la ville: les patrouilles policières sont évoquées  et on songe également à densifier l'éclairage public.
  Bien plus, dans les bâtiments publics, en particulier dans les aéroports et autres lieux à forte concentration humaine,  le système de sécurité s’est aussi renforcé ces derniers mois.  C’est pourquoi l’on observe actuellement, certaines grandes villes notamment Yaoundé et Douala des caméras de surveillance ; des fouilles pour vérifier qu'une personne ne transporte ou ne dissimule pas d'objets dangereux pouvant servir à commettre une infraction ; des contrôles inopinés  de la carte nationale d’identité dans les lieux publics, taxis et véhicules de transport interurbains… Sur le pont du Wouri,  il y a eu un affermissement du nombre des éléments de la force de maintien  de l’ordre. De même que dans les quartiers, les populations  ont  réorganisé des comités de vigilance  en écartant les individus peu recommandables. «  Les gens se sont souvent plains d’être agressés par les membres du comité d’auto-défense raison pour laquelle nous avons toiletté notre effectif pour ne garder que des personnes sérieuses », déclare Onanena Paul, habitant du quartier Espoir.
Les nouvelles mesures de sécurité  instaurées dans la cité portuaire ont fait leur apparition dans plusieurs autres villes de la région du Littoral. Des mesures récemment prises par les autorités administratives pour contrarier les plans des  leaders du mouvement sécessionnistes qui voulaient proclamer l’indépendance de la partie anglophone du Cameroun.  A titre d’illustration, au niveau du pont du Moungo, l’armée y a installé une tente avec deux ou trois soldats positionnés à chaque extrémité de cet ouvrage qui symbolise la réunification des deux Cameroun. À quelques km de là, une imposante barrière contrôlée par des soldats de l’armée de terre vous accueille. Et il faut, à chaque fois, présenter ses pièces d’identité et ouvrir la malle arrière de son véhicule pour les vérifications d’usage.
Dans le même temps, partir de Buéa, Kumba ou de Limbé pour Douala, les passagers doivent  franchir plus de 13 barrières de police, gendarmerie et de l’armée.  Alors que Limbe compte à elle seule  trois postes de contrôle, Muntenguene en compte aussi trois ;  tandis que Tiko en a au moins quatre. Avant le pont sur le Moungo, en allant vers Douala, il faut encore franchir encore près de deux trois barrières de police.
 Sécurité renforcée dans les entreprises
Dans la foulée des décisions administratives, la plupart des grandes entreprises camerounaises ont discrètement renforcé leurs mesures de sécurité, notamment sur les sites ouverts au public. Même si la plupart n'ont pas souhaité détailler leur dispositif pour ne pas en réduire l'efficacité. A  la SCDP par exemple, la sécurité  a été renforcée dans les alentours de l’entreprise. Il n’est donc rare  de voir des militaires  sillonner au carrefour Agip.  A l’intérieur, constate-on, les vigiles procèdent à des fouilles systématiques à l'entrée des bâtiments  avec  quitus de refouler toute personne ne se soumettant pas spontanément ou volontairement aux conditions d'accès déterminées. Ce n’est pas tout. À l'enregistrement, les contrôles d'identité ont été renforcés, y compris pour les employés qui doivent toujours porter leur badge professionnel. Quant aux camions-citernes, ils  passent tous au peigne fin grâce au Miroir d'inspection pour contrôle sous les véhicules (MCSV). « Cette vitre fouille voitures permet de contrôler les zones inaccessibles avec une distance d’observation de 5 mètres », lâche une sentinelle.
Chez l’agroalimentaire Nestlé Cameroun, où la sécurité de l'accès aux sites à déjà été renforcée il y a plusieurs mois, une source souligne que le dispositif peut encore se durcir selon l’évolution de la situation sécuritaire au pays. « Nous faisons confiance aux autorités en place pour veiller à la sécurisation des populations », confie un employé sous couvert anonymat. Quoi qu’il en soit, la sécurité est non négociable  surtout à l’usine de bonabéri où les standards en matière sont élevés. Toutes  les personnes  qui  entrent  et sortent sont contrôlées. Les sacs sont examinés de façon plus systématique que par le passé et les effets personnels qui ne sont pas admis sur les sites sont laissés à la guérite.
1500 caméras et relais
A ces  dispositifs sécuritaires, d’autres propositions ont été faites par les autorités politiques à l’instar de la création d’un numéro vert à partir duquel sera signalé tout cas suspect  proposée par Jean-Marie Martinel le  consul de France. Egalement en projet, l’installation à travers tout le territoire national, particulièrement dans les grandes agglomérations, des caméras de surveillance à des endroits névralgiques. Ledit projet, mis en œuvre depuis janvier 2014 à Yaoundé, la capitale dans le cadre de sa phase pilote, prévoit l’installation de 1500 caméras et relais de communication dans les 10 chefs-lieux de région ainsi que dans 7 autres zones stratégiques frontalières, notamment dans la région de l’Extrême-Nord en proie aux assauts de la secte islamiste Boko Haram. A travers l’installation de ce dispositif, apprend-on, la police camerounaise veut ainsi améliorer ses capacités pour une protection plus efficace des populations.
 Christian Happi

 

 

Thomas Apo Eboko
 « Douala doit mettre ses sites à risques hors d’atteinte »
Le Consultant en Hygiène sécurité environnement apprécie les mesures prises au lendemain de l’incident  de la SCDP afin de mettre les populations à l’abri d’un acte terroriste.
Une bombe de fabrication artisanale a explosé le 22 septembre dernier sur le mur qui sépare les rails de la Camrail à l’entrepôt de la SCDP. Comment qualifiez-vous cet acte ?
(Silence pendant une minute).  C’est un acte grave qui pouvait causer d’énormes dégâts matériels et humains.  Mais il revient aux  éléments de la force de maintien de l’ordre et à l’administration  de voir si cet incident peut être qualifié d’acte de terroriste  ou d’autre chose. Plus généralement, la protection  d’un site aussi sensible que celui de la SCDP, doit être assurée par une société de gardiennage. Celle-ci ne doit pas laisser les gens s’approcher ne serait que pour toucher la grille de l’entreprise. La vocation d’une société de gardiennage ou de contrôle d’accès est d’empêcher  que des actes comme celui du mois dernier se produisent. Surtout près des installations à risques.
  A vous s’attendre, on dirait que les vigiles ont fait preuve de laxisme ?
Non. Ce n’est pas une question de laxisme ; il faut juste voir comment le travail de ces sentinelles est organisé. Est-ce qu’elles font des rondes le long de la clôture? Est-ce qu’il y a des postes à ces endroits ? C’est beaucoup plus une question d’organisation. L’autre élément c’est qu’en dehors de la société de gardiennage,  la ville de Douala doit mettre ses sites à risques hors d’atteinte des éléments incontrôlés. Elle doit s’organiser pour qu’on ne puisse pas les approcher au-delà d’un certain périmètre. C’est un travail qui doit se faire grâce à une coordination entre la société de gardiennage à l’intérieur de la SCDP et  les forces de l’ordre dans la ville.
Plusieurs mesures ont été prises suite à cette explosion à commencer par l’interdiction de toute activité commerciale aux alentours de la SCDP ; quel commentaire vous suscite ce dispositif sécuritaire ?
 Nous avons l’habitude de courir après les risques. C’est lorsqu’il y a un incident ou un accident que nous prenons des mesures  qui généralement ne durent pas. D’ici quelques temps ces personnes chassées vont revenir vendre leurs produits aux alentours de la SCDP. A l’époque,  le site de cette entreprise était très éloigné de la  ville. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui à cause de la démographie galopante. Il faut dire que la SCDP depuis la catastrophe de Nsam, a fait beaucoup d’efforts par rapport à son voisinage immédiat. Il se pose donc deux problèmes de manière générale : celui de  la distance de sécurité à mettre entre les sites à risque comme celui de la SCDP et les autres activités. Regardez les stations-services qui sont aussi des sites à risques. A côté de la distribution des produits pétroliers, on y pratique toute sorte d’activité ; il y a des restaurants, des superettes, des buvettes, des motos-taxis qui y stationnent… Et tant qu’on n’aura pas un problème dans ce milieu, on ne prendra pas les dispositions  nécessaires.
Cette mesure n’est-elle donc pas une bonne décision ?
 Si. C’est une bonne décision.  Mais il faut qu’on la maintienne sinon dans six mois, ces mêmes personnes reviendront pour reprendre leurs activités commerciales. Il y a une pression, une émotion au moment où survient un événement  mais après, on laisse les choses revenir comme avant. Ce que je souhaite c’est que cette mesure soit définitive.
De manière générale, est ce que cet incident ne met pas à nu les failles du système de sécurité dans les sociétés  et établissements  publics ?
Cet incident montre que les sites étaient peut-être protégés  mais pas suffisamment pour  éviter ce genre d’incident. Autrement dit,  il faut qu’on augmente le niveau de protection des entrepôts de la SCDP et ça ne concerne pas seulement les  sociétés  ou établissements  publics. Ce sont toutes les zones et les  sites à risques répertoriés dans la ville qui doivent être protégés par les forces de maintien de l’ordre. On n’a pas besoin d’attendre qu’un énergumène se balade avec des bombes artisanales pour qu’on puisse les mettre en sécurité. De même qu’organiser à Douala une équipe d’intervention capable de répondre aux conséquences prévisibles si jamais ce risque se réalise sous forme d’accident. Nous avons un gazoduc qui traverse Douala et s’il explose il n’y a pas une force d’intervention et de secours  suffisamment outillée pour limiter les dégâts. Car, nous avons une seule caserne des sapeurs pompiers  au quartier Ngodi  à Douala alors qu’il faudrait une dans chaque commune d’arrondissement de la ville. Pour se résumer, je dirai qu’on a trois choses à faire : il faut, premièrement, améliorer l’organisation des sociétés de gardiennage qui sont présentes dans tous les édifices publics ;  deuxièmement, ces vigiles doivent travailler en collaboration avec les forces de l’ordre et enfin, faire des rondes surtout nuitamment autour de ces sites, et enfin s’assurer de l’existence d’un plan d’organisation des secours.
 On peut donc dire que les édifices publics et entreprises privées ne sont pas suffisamment protégés ?
 Ces structures sont bien protégées. Mais on peut toujours faire mieux. Les édifices publics et entreprises privées peuvent réorganiser leur fonctionnement, renforcer et réorganiser leur système de sécurité  avec l’appui des  forces de l’ordre pour que cette sécurité soit  au même niveau que la menace. Nous savons tous après les derniers incidents que la menace a augmentés et a même changés de nature. On doit être beaucoup plus vigilent pour pouvoir détecter les personnes suspectes. Mais au-delà, l’un des gros problèmes que nous avons, je le répète, c’est le manque de moyens de secours et d’intervention suffisants dans la ville.  
Propos recueillis par C.H.

 

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