Environnement:Ces carcasses de voitures qui encombrent la chaussée
Très souvent dans des angles isolés, ces automobiles bouchent la circulation et causent de nombreux accidents.
Difficile de parcourir plusieurs kilomètres sans tomber sur des carcasses de véhicules abandonnés sur les trottoirs à Douala. Très souvent dans des angles isolés, ces voitures obstruent la voie publique et empêchent les usagers de la route, de circuler normalement. Elles sont même parfois à l’origine de certains accidents de la circulation, affirment les automobilistes. « Il y a près d’un an, je suis entré en collision avec un taximan à cause d’un camion qui avait obstrué la chaussée ; et cela faisait deux mois qu’il était garé là », se souvient Eric Tsop, mototaximan. De même, en face du commissariat du 10ème arrondissement à Ndogbong, un vieux bulldozer est enseveli dans des broussailles. Les populations riveraines confient que le gros porteur s’y trouve depuis de longs mois. « Les gens s’arrêtent souvent à cet endroit pour uriner ou pour prendre la drogue », témoigne Simon T., habitant du quartier. Même scène au lieu dit pont blanchisseur au quartier Madagascar. Autrefois réservé à la vente des pièces détachées pour automobiles, ce lieu est devenu le dépotoir des voitures désuètes. Leur présence, affirme Merline Tchiaffi, vendeuse à la sauvette, sert d’abri aux bandits qui n’hésitent pas à déposséder les passants de leurs biens, une fois la nuit tombée.
N’empêche, les propriétaires desdits véhicules imputent cet abandon au manque de moyens financiers pour les entretenir. « Ma toyota a un problème au niveau de son moteur et je n’ai pas d’argent pour l’échanger », disculpe Germain N., détenteur d’un autocar abandonné. Pour Jean-Pierre Signé, taximan, l’absence d’un parking peut contraindre les gens à garer n’importe où. « Je n’ai pas de parking personnel chez moi ce qui m’amène à stationner dans un coin de la route », avoue-t-il. Approché, un responsable de la fourrière municipale de Youpwé assure qu’il est difficile de mettre en fourrière une voiture se trouvant sur le trottoir. Habituellement dit-il, nous intervenons au cours de nos patrouilles ou quand les populations nous alertent sur un cas.
Outre la chaussée, l’on constate que la cour et arrière-cour des postes de police détiennent un nombre important d’automobiles et motocyclettes oubliés par leurs propriétaires. La preuve avec le commissariat du 7ème arrondissement de Bépanda qui comptait le lundi 03 novembre 2014, une quarantaine de motos enchainées les unes les autres par mesure de sécurité. Recouverts de verdures et avec des pneus crevés, ces engins à deux roues sont en majorité rongés par la rouille. « Quand il y a des accidents de la route dans lesquels sont impliqués des véhicules, nous faisons le constat et les amenons au commissariat ; ce n’est qu’après présentation des papiers( assurance, permis de conduire, carte crise) que l’engin est retourné à son propriétaire », explique un officier de police.
Idem au niveau du 10ème arrondissement à Ndogbong et du commissariat central N°2 à Logbaba. Ici, ce sont environ cent motos et une dizaine de voitures personnelles qui croulent dans la poussière. Elles ont été saisies lors des patrouilles de nuit, confie Philippe Amougou, Officier de police. « Il nous est souvent arrivé de mettre la main sur une moto dont le conducteur n’avait aucune pièce à sa possession », étale-t-il, ajoutant que la loi donne jusqu’à 6 mois aux propriétaires pour venir présenter les pièces justificatives.
Christian Happi
Récupération
Des ventes aux enchères pour décongestionner les commissariats
Les automobiles qui jonchent les rues de Douala sont saisies et vendues après plusieurs mois de sensibilisation.
Au -delà de six mois, les voitures et les motocyclettes saisies par les commissariats de Douala et en souffrance dans leurs parking sont vendues aux enchères publiques. Cédés au plus offrant, conformément aux règles fixées par la loi, ces véhicules sont commercialisés dans le but de décongestionner l’enceinte des postes de police. « Il est primordial de désencombrer les lieux ; sinon, on n’aura plus d’espace pour stocker les autres véhicules », nous apprend des hommes en tenue. D’après l’un d’entre eux en service au commissariat de sécurité publique du 7ème arrondissement à Bépanda, la vente aux enchères se fait généralement quand « nous constatons que les propriétaires sont incapables de nous fournir des pièces du véhicule », constate-t-il. A l’en croire, cette opération se déroule avec le concours des agents du ministère des Domaines et des affaires foncières. Et, l’argent récolté est « entièrement » reversé dans les caisses du trésor public, apprend-on.
Ainsi, à l’image de ce qui se passe au port de Douala, les prix des automobiles sont fixés en fonction de l’âge, la marque et l’état. Ils vont de 80 000 FCFA, 90 000 FCFA, 100 000 FCFA… Bref, il n’existe pas de plafond pour les enchères. Les potentiels acquéreurs bénéficient après achat, d’un document attestant que l’engin leur appartient, rassurent les policiers.
Bien plus, quel que soit l’état des carrosseries, elles finissent toujours par trouver un acheteur. C’est du moins ce qu’affirme Philippe Amougou, officier de police au commissariat central N°2 à Logbaba. Celui-ci assure avoir été témoin de la vente aux enchères passée le samedi 1er novembre 2014, dans les locaux de ce poste de police. « 85 motos et 28 voitures ont été toutes achetées ce jour même les plus rouillées ; je crois que c’est chacun qui sait pourquoi il achète une voiture », croit savoir Philippe Amougou. En effet, récupérateurs, notamment des ressortissants nigérians et les mécaniciens se rendent le plus souvent dans les commissariats pour acquérir les carcasses de voitures. Ces derniers les revendent aux fonderies, ou les démontent en pièces pour marchander au lieu dit « camp Yabassi » à Douala. « Nous sommes obligés d’aller vers les fourrières ou les postes de police car dépecer un véhicule sans l’avis du propriétaire est un vol », estime Seydou, récupérateur. Pour lui, les voitures abandonnées sur les trottoirs appartiennent à leurs propriétaires et non à n’importe qui.
D’après le chef service des emprises d’occupation à la fourrière municipale de Youpwé, la vente aux enchères se passent après plusieurs jours de sensibilisation et dans le respect de la procédure. Après avoir constaté qu’un véhicule est délaissé par son propriétaire, « nous inscrivons la croix de Saint André dessus et nous lui donnons 24 heures pour l’ enlever de la voie publique », détaille l’agent. La suite consiste à faire des communiqués radio pour inciter les concernés à venir retirer leurs engins de la fourrière. Passé ce délai, « nous procédons à la mise en vente même s’il peut arriver que l’on parvienne à récupérer son véhicule moyennant des frais de gardiennage ou un arrangement de gré à gré », atteste un policier, sous couvert de l’anonymat.
Christian Happi
Recyclage
Quatre industries dans la transformation des déchets ferreux
Elles achètent des carcasses de véhicules issues des ventes aux enchères publiques pour fabriquer le fer à bêton.
Seules quatre industries font dans le recyclage des déchets ferreux au Cameroun. Il s’agit de Prometal, Métafrique, Hajaarp et Coulée continue, cite un cadre au ministère en charge de l’Environnement à Douala. Ces entreprises achètent des carcasses de véhicules issues des ventes aux enchères publiques effectuées dans les commissariats et fourrières. Dans l’usine de Coulée continue (filiale du groupe Fokou) par exemple, située à la zone industrielle de Douala-Bassa, le ronronnement des moteurs se font attendre ce mercredi 05 novembre 2014. On peut également y voir des épaisses fumées noires s’échappent des grands hangars construits en aciers. Perchés sur des montagnes de déchets ferreux, les employés séparent les carcasses de frigos, ventilateurs, vélos, carrosseries d’automobiles, batteries, etc. Des métaux qui entrent dans la fabrication des fers à bêton, des corniers…. apprend-on de ce côté. « Nous travaillons 24heures/24 et la sécurité est de rigueur », lance un manœuvre, essuyant son visage avec le revers de sa main. Celui-ci explique que les travailleurs sont repartis en plusieurs groupes. Il y a ceux qui trient le fer et d’autres personnes qui récupèrent les morceaux d’aluminium, servant à la fabrication des lingots. « Toutes les parties d’une voiture ne sont pas importantes pour une fonderie ; la mousse par exemple contient un taux élevé de carbones, ce qui n’est pas bien », apprécie un écologiste.
Interrogée sur le sujet, la direction générale de l’entreprise s’est refusée à tout commentaire. « Désolé ! Nous ne pouvons rien faire pour vous », a tranché le DGA, joint au téléphone. Même discours du côté de Prometal, Métafrique et Hajaarp. Dans les locaux de ces aciéries, ce sont des camions qui viennent chaque semaine décharger de tonnes de déchets ferreux, nous disent les employés, ajoutant qu’ils sortent même du grand Nord pour venir à Douala.
Pour Didier Yimkoua, environnementaliste, le nombre réduit des entreprises qui font dans le recyclage des déchets solides se justifie par l’absence de moyens financiers et l’offre insuffisante en énergie électrique au Cameroun. « C’est un process qui nécessite une grande consommation énergitique ; il faut aller jusqu’à 1600° pour faire fondre une ferraille. Malheureusement le concessionnaire camerounais n’est pas encore capable de satisfaire la demande », ajoute-t-il. A l’opposé du précédent spécialiste, Martial Oden Bella, consultant en renforcement de capacité pense que l’Etat camerounais n’encourage pas suffisamment les industries locales à se lancer dans le recyclage. Surtout que « la législation en vigueurs, notamment le permis environnemental et ses conditions d'obtention est frein. L’Etat doit rendre son obtention gratuite pour les trois premières années », tranche Martial Oden Bella.
En réaction, Célestin Youbara, chef de service de l’information, de la sensibilisation et de la documentation à la délégation du ministère en change de l’Environnement(Minepded) pour le Littoral, affirme que cette activité mérite d’être encadrée. Et, que c’est tout à fait légal qu’une entreprise faisant dans le recyclage des déchets solides ait au préalable un permis environnemental. Ceci, conformément à l’arrêté n° 001/Minepded du 15 octobre 2012.
Christian Happi
Didier Yimkoua
« La procédure de récupération est lourde »
L’environnementaliste analyse la qualité des produits issus des d
échets ferreux, non sans se prononcer sur les risques qu’encourent les populations riveraines.
Que peut-être l’impact des carcasses de véhicules qu’on retrouve sur les trottoirs sur l’environnement ?
Les carcasses de voitures sont des gites pour les moustiques et autres insectes rampants et volants. Des milieux naturels qui favorisent la multiplication des larves ; tous ceux qui vivent tout autour sont exposés aux piqûres de moustiques, des serpents et beaucoup d’autres animaux qui sont des vecteurs des animaux. Les déchets ferreux peuvent augmenter le taux de la prévalence en paludisme. En plus, la ferraille sous l’effet du soleil ou de la pluie peut se transformer en rouille ; et l’eau qui percole des châssis peut polluer la nappe phréatique du sol, le sous-sol, les ressources en eau souterraine et superficielle. A côté des conséquences environnementales, il y a l’impact esthétique qu’on parle beaucoup moins. Ne perdons pas de vue que lorsqu’on jette des déchets ferreux dans la nature ce n’est pas beau à voir.
Que font les industries des déchets ferreux qu’elles achètent auprès des ramasseurs?
Les carcasses de véhicules ne sont plus des déchets parce qu’elles peuvent être réutilisées dans les unités de recyclage. Au Cameroun, nous avons quatre grandes structures (Métafrique, Coulée continue du groupe Fokou, Prometal et Harjaap NDLR) qui récupèrent ces déchets pour la fabrication du fer à béton. Les produits issus du recyclage sont de bonne qualité car contrôlés par Labogénie et l’Agence des normes et de la qualité du Cameroun(ANOR). Au départ, ce sont nos amis de l’Afrique de l’Ouest qui s’étaient spécialisés dans la récupération de ces déchets solides. Aujourd’hui, de nombreux Camerounais s’y lancent avec des fortunes diverses. La filière génère beaucoup d’emplois et de revenus très importants. C’est pour cela que l’exportation de la ferraille qui était au autrefois autorisée, est interdite de nos jours afin de favoriser l’implantation des industries de métallurgiques qui font dans le recyclage.
Quatre entreprises. Est ce pas insuffisant pour un pays Cameroun qui aspire à l’émergence 2035 ?
Les carcasses de voitures qui sont dans les fourrières, appartiennent aux collectivités locales décentralisées ; et il faut toute une procédure pour les avoir dans les fours. En d’autres termes, ce n’est pas le recycleur qui va chercher ces voitures dans la rue ; la récupération et le transport par exemple, sont faits par des récupérateurs. Et, les recycleurs reçoivent sur leurs sites ces déchets qui ont été au préalable traités par les récupérateurs. J’encourage les mairies et les communes à travailler en partenariat avec les entreprises de recyclage parce que la procédure de récupération est lourde. Pour aller récupérer une carcasse sur un site administratif, il faut se lever tôt le matin. Bien que les communes n’aient pas l’expertise requise, la loi sur la décentralisation leur autorise à assainir l’environnement. C’est vrai qu’elles ignorent les textes et quand mêmes elles sont connues, elles ne se pressent pas de les appliquer. Mais, je suis optimiste en que dans les années à venir, les choses vont s’arranger.
Propos recueillis par C. H.