Industrie musicale
La lente agonie des acteurs de la distribution
Leur chiffre d’affaires s’est réduit au fil des années comme un pot de chagrin à cause de la piraterie et bien d’autres maux.
L’industrie de la musique camerounaise est en crise.  Ce secteur d'activité va si mal qu’il n’existe presque plus de circuit de distribution. TJR Music, Music Center, Emmanu Music, Fotié Music Paolo Music…  pour ne citer que ceux qui exerçaient à l’époque dans la ville de Douala ont fermé  les portes.  En cause, de  nombreux maux et en premier lieu la piraterie qui impacte négativement sur leurs revenus. Oui. L’une des raisons de la mauvaise santé de la musique camerounaise est la contrefaçon. On retrouve en effet dans des carrefours comme Ndokoti des jeunes vendant des œuvres de l’art contrefaites au vu et au su de tous. Personne pour s'y opposer. A  MC Pop Music,  situé au Camp Bertaud, le représentant rencontré hier mardi affirme que l’entreprise ne fait plus dans la distribution depuis que la piraterie a envahi le marché. Les dernières marchandises restantes sont entrain d’être soldées. «  Il y a des semaines qu’on ne vend même pas cinq CD ; le mal est si profond que le grand magasin qu’on avait s’est réduit à un simple étalage », confie M. Jean.
A côté de la piraterie,   il y a également l’avènement des NTIC qui s’est avéré fatal pour les distributeurs. Grâce au numérique et à internet, les mélomanes  peuvent facilement télécharger  des contenus musicaux sur  Youtube, tubidy… Cet engouement peut s’expliquer en grande partie par la « gratuité » mais également par la facilité.  Il suffit de taper le nom d’un artiste, d’une chanson et dans la seconde qui suit, on accède à la diffusion du morceau recherché. «  Je préfère télécharger mes chansons sur Youtube que d’aller acheter un CD  coûteux et dont  tout le contenu peut ne pas me plaire »,  justifie  M. Talla, un internaute.
 Le malheur des distributeurs ne s’arrête pas là. Cette activité souffre aussi  de la concurrence déloyale des jeunes camerounais   qui, au nom de la débrouillardise, font  des téléchargements (logiciels, données, images, sons, vidéos) d'un ordinateur à un téléphone portable via un canal de transmission. Ce travail, à l’instar de la vente des téléphones mobiles,  s’est répandue au lieu-dit "ancien 3ème"  comme une trainée de poudre. Une chanson téléchargée coûte 25 FCFA, un film 100 FCFA (et 200 FCFA lorsque  le format  est trop long) tandis que les vidéogrammes valent 50 FCFA l’unité.   De quoi insister les populations à tourner le dos aux CD originaux.
  La musique camerounaise en particulier le secteur de la distribution a longtemps prospéré. Ses  acteurs traditionnels   disposaient de stocks  importants de cassettes  qui se vendaient comme des bouts de pains.  A l’époque, « l’ensemble des vendeurs du Cameroun pouvaient écouler 50 000 cassettes(K7) d’un seul artiste en une année », se souvient  Jean Tamwo,  promoteur de Flash Music en se rappelant que les disquaires, installés dans des carrefours, distillaient de la bonne musique pour attirer la clientèle.  Lui, à l’image de  Music Store,  Koko Music du marché Congo,  fait partie des rares distributeurs qui n’ont pas mis la clé sous le paillon malgré la lente agonie du secteur musical au Cameroun.  Sa maison de distribution, sise au lieu-dit rue de la joie à Deïdo, est toujours en marche.  Sur les présentoirs, sont exposés les CD, DVD originaux des artistes du pays dont les prix oscillent entre 1 000 FCFA et 20 000 FCFA. Malheureusement les consommateurs se font rare depuis l'arrivée de la piraterie.  Toute une semaine peut passer sans  que le moindre CD soit vendu. «  Le prix n’a rien à avoir la crise que traverse notre secteur. C’est un problème de mentalité. Le dernier album de Koffi Olomidé est vendu à 35 euros en France », se défend le patron de Flash Music. Il a diversifié ses activités en se lançant dans la location  des appareils de sonorisation. Pareil pour Music Down Man qui s’est entre-temps spécialisé dans la vente des téléphones portables et accessoires pour joindre les deux bouts.
 Christian Happi
Des solutions pour  une sortie de crise
Les artistes camerounais, disent les observateurs, gagneraient à faire de la bonne musique pour que l’industrie musicale retrouve sa gloire d’antan.
Il n’existe pratiquement plus des distributeurs de CD, DVD de la musique au Cameroun.  A Douala, les derniers qui en restent se comptent sur les doigts d’une seule main notamment MC Pop Music, Music Store,  Koko Music du marché Congo, Flash Music. Ils tirent le diable par la queue en attendant des lendemains meilleurs. Pour une sortie de crise, disent-ils, il faudra que   le gouvernement mette à la disposition des distributeurs des équipements adaptés aux défis de l’heure. «  Il faudra qu’on mette à notre disposition  une machine de pressage avec une capacité de production  de 40 000 CD/jour. Avec cet appareil, on pourra presser les CD en masse et baisser par la même occasion le prix de vente unitaire »,  croit Jean Tamwo,  promoteur de Flash Music. Il dispose dans son domicile près de 100 000 cassettes qui ne pourra plus écouler à cause de l’avènement des NTIC.
 La sortie de la musique camerounaise dans sa zone de turbulence passe aussi par un bon circuit de distribution. Les mélomanes ne savent plus aujourd'hui où se procurent des CD originaux, se laissant ainsi séduire par les contrefacteurs.  D’après les acteurs de la distribution leur salue viendra comme dans certains pays africains, des moyens incitatifs instaurés par l'Etat afin que les hommes d’affaires  s’intéressent  de nouveau à l’industrie musicale générateur d'argent. «  Il faut les inciter  à mettre de l’argent dans ce business en leur accordant des crédits  sans intérêts »,  pense un observateur.
 Par ailleurs, les artistes gagneraient à composer des musiques aux paroles  mélodieuses. Au lieu de faire la course au buzz en proposant des textes sans identités. Ceci pousserait les Camerounais à opter pour l’achat des supports d’origine au détriment de la piraterie qui a actuellement pignon sur rue. «  Je suis profondément déçue par la musique du pays. Nos artistes passent le temps à citer les noms des grandes personnalités dans leur chanson ou à parler du sexe au lieu de nous proposer quelque chose de doux pour les oreilles », analyse Karelle N., mélomane en ajoutant qu’elle ne peut pas acheter un CD où on ne retrouve qu’un seul titre bien fait. «  La distribution est un maillon de la chaine musicale au Cameroun ; il n’est que normal que cette activité ne puisse plus nourrir son homme puisque les artistes chantent n’importe quoi », renchérit un autre  amoureux de la chanson camerounaise.
 C.H.
La responsabilité des médias
La réglementation en vigueur au Cameroun est claire.  Les médias locaux ont l’obligation de diffuser au moins 70% de contenu local. Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’observe dans les faits. La raison évoquée  par les responsables des médias est que les artistes  sont les plus sollicités par la jeunesse. Fally Ipupa, Beyonce, Diddy, sean Paul… « Jambo TV sur Canal2 International (Télévision la plus regardée au Cameroun) et TAM TAM Weekend sur la CRTV (Télévision Nationale au Cameroun), longtemps considérés comme des plateformes incontournables de promotion des projets artistiques, car mobilisant un nombre non négligeable de téléspectateurs, s’avèrent être peu productifs voir quasiment inutiles pour un artiste et son œuvre »,  constatait nos confrères du magazine Culture Ebène  en janvier 2012.
Aussi,  les opérateurs de téléphonie mobile qui, au moment d’organiser des spectacles, préfèrent faire venir des artistes étrangers au détriment de ceux du pays pourtant talentueux.   On se souvient d’ailleurs que c’est l’un des opérateurs  qui avait permis à Stromae, chanteur belge d’origine rwandaise de poser pour la première fois, ses valises au Cameroun, plus précisément à Douala. Il en va de même le concert du duo d’artistes nigérian P-Square qui avaient presté en 2012 au Cameroun grâce à une société de téléphonie mobile. Leur venue avait été contestée par des artistes musiciens camerounais sous la houlette du Syndicat camerounais des artistes musiciens (Sycamu) parce qu’ils devaient être  payés plus cher les cachets des artistes étrangers par rapport aux nationaux.
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